Le mardi 29 octobre 1991, en pleine conférence nationale, l’opinion nationale et internationale a pris connaissance de la tragédie ayant eu lieu à Toda (près de Maradi) dans le centre du Niger.
Un conflit banal entre agriculteurs et éleveurs a dégénéré en une bataille rangée qui s’est soldée par une véritable chasse à l’homme.
La délégation conduite par le Premier Ministre de la transition (fraichement élu) dépêchée en catastrophe sur place pour faire un état des lieux a dénombré 101 tombes (femmes, enfants et vieillards, les hommes étant absents). A Toda, l’extrémisme d’une violence jamais égalée auparavant, a surgi sous nos yeux et en pleine conférence nationale.

Pourquoi l’extrémiste violent apparait et prospère sous nos yeux ?

L’extrémisme surgit et prospère partout au Sahel où la coexistence difficile entre agro-pasteurs et éleveurs se cristallise en raison d’une très forte densité humaine entrainant une forte pression de l’homme et du bétail sur les ressources naturelles. L’extrémisme surgit et prospère en raison aussi de l’existence de plusieurs modes de gouvernance foncière, plusieurs instances d’arbitrage concurrentes et compétitrices (instances formelles et informelles : instances religieuses, coutumières, administratives et judiciaires).

L’extrémisme surgit et prospère en raison aussi de l’existence de plusieurs modes de gouvernance foncière…

Pr Alpha Gado

Dans la zone des trois frontières, qu’il s’agisse du Niger, du Burkina Faso ou du Mali, extrémisme violent surgit et prospère aussi en raison de l’implication fréquente, quelquefois injustifiée – très souvent arbitraire – des autorités politico-administratives, mais aussi celle des hommes d’affaires de la diaspora dans la gestion du foncier et le processus de nomination des chefs traditionnels.
L’extrémisme violent surgit et prospère car, chez nous, l’héritage du code civil napoléonien fait
que se sont ces mêmes autorités politiques, administratives et judiciaires (dont la neutralité plus que douteuse est remise en cause par les populations) qui sont chargées de la gestion quotidienne des conflits fonciers. Ainsi de procès en procès, la haine s’installe et se cristallise entre des fils d’une même communauté coutumière, les fils d’une même collectivité territoriale, les fils d’un même pays.

En ce qui concerne le contexte sécuritaire actuel, le Président de la République Mohamed Bazoum, au cours d’une conférence des cadres a donné sa perception des événements. Il a longuement détaillé les sacrifices consentis ainsi que les engagements de son gouvernement pour éradiquer le fléau. Il ressort de cette déclaration du Président de la République, le souci de porter à la connaissance de l’opinion publique nigérienne, toute la complexité du phénomène. Dans la recherche des solutions durable, il ne sous-estime aucun des facteurs à l’origine de la crise. Il ressort également de cette intervention du chef de l’état, le souci d’explorer toutes les solutions possibles pouvant mener à la paix, y compris les négociations entamées avec certains leaders.

Le débat actuel

Une des erreurs fondamentales de certains acteurs en présence (notamment les hommes politiques et les experts militaires) réside dans la perception de l’espace disputé. La zone dite de « trois frontières » continue à être perçue à partir des limites territoriales des états nations héritées de la Conférence de Berlin. Leur analyse n’intègre pas la perception de l’espace tel que et vécue quotidiennement par les populations locales. Or, nous savons tous qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une guerre de l’occupation de l’espace et des ressources locales.

A lire: L’épicentre de l’extrême violence

Les formes de production paysanne et le mode d’existence de toute les communautés coutumières vivant dans cette zone s’articulent autour de l’espace agro-écologiques que symbolise la vallée du fleuve Niger et ses deux rives : « gurma-ce et hausa-ce » (rive haoussa et rive gourma). Le mode de vie des populations riveraines du « Isa Beri », (fleuve Niger) ne s’aménage pas selon les frontières héritées de la colonisation qui constitue les seules références des stratégies militaires dans le cadre de la lutte antiterroriste menée dans le cadre des différentes opérations.
Par ailleurs, les analyses géostratégiques dans le cadre du G5 Sahel et leurs alliés occidentaux, ont souvent tendance à privilégier les facteurs exogènes d’instabilité notamment l’éruption des groupes
« djihadiste » dans la boucle du Niger. Sans occulter leur rôle indéniable des facteurs exogènes dans le drame que nous vivons, il faut accorder aux causes endogènes toute leur importance. En effet, l’extrémisme violent est comme le phénomène de la désertification. Le désert n’est pas importé, il n’avance pas ; il apparait et s’amplifie sous nos yeux en fonction des conditions agro-climatiques et démographiques favorables. A l’image du phénomène de la désertification, les tensions et conflits intercommunautaires surgissent également sous nous yeux, leur stade ultime caractérisé par un extrémisme violent.

Notre code rural n’est pas opérationel

De nos jours, dans plusieurs régions de notre pays, l’accès à la terre, est devenue une véritable « bombe foncière ». Notre code rural a le mérite d’exister. Il est même considéré (à tort ou à raison) par certains de nos voisins comme une loi foncière de référence. Effectivement, le processus de son élaboration demeure incontestablement une avancée significative en raison de la cohérence de son
dispositif institutionnel par rapport aux mécanismes antérieurs. Malheureusement, là aussi, plusieurs
études ont abouti à une conclusion effarante : notre code rural n’est pas opérationnel à l’échelle communautaire.
Les seules instances opérationnelles (échelles département et communes) sont pilotées par les préfets, les maires). Pour beaucoup de paysans sans ressources, face à ces instances, le verdict est connu d’avance. Dans le Damagaram, le Boboye, ou l’Anzourou, le sentiment qui domine est que l’on perd un litige foncier parce qu’on est «alfukaru ou talaka-bi », (pauvre parmi les pauvres).

Le basculement dans l’extrémisme violent

Hier pauvre parmi les pauvres, la convocation devant le chef coutumier ou le juge transforme certains de nos agriculteurs et éleveurs, du jour au lendemain, en paysan sans terre, en éleveur sans bétail. Il y a des formes d’’extrémisme violent qui sont engendrées par la pauvreté chronique. Dans cette zone dite « des trois frontières » où les conditions de vulnérabilité à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle structurelles maintiennent l’immense majorité des ménages dans une pauvreté chronique, des enquêtes de terrain montrent qu’il y a, chez les jeunes, deux phases, deux étapes dans le processus du basculement dans l’extrémisme violent : une première phase de basculement de la pauvreté conjoncturelle à la pauvreté chronique ou structurelle, puis une seconde phase de basculement de la pauvreté chronique à l’extrémisme violent. Lorsque des années de vaches maigres et de greniers vides se succèdent, chez le paysan sans terre et le pasteur sans bétail, le sentiment d’iniquité crée une frustration extrême. Chez les plus vulnérables « la vendetta » devient le seul moyen de retrouver la dignité et l’honneur perdus devant les tribunaux et autres instances de conciliation.
Hier c’était l’arme blanche, de nos jours, la kalachnikov est malheureusement un simple gadget à la portée de tous (les narcotrafiquants prospérant grâce par un vaste réseau interne).

Que conclure ?

Il faut accepter l’évidence ; dans la boucle du Niger en général, la zone des trois frontières en particulier, la chute de Mouammar Kadhafi a certes entrainé un éclatement des frontières, une amplification des migrations transfrontalières, une circulation massive des armes de tout calibre et l’éclatement de l’état malien. Elle n’est cependant pas le seul facteur déclenchant. Ce fut hélas un des multiples facteurs amplifiant un épiphénomène en gestation sous nos yeux : l’extrémisme violent né de mal gouvernance.
Bref, la chute du Colonel Kadhafi n’a constitué que la goutte d’eau qui fit déborder le vase.


Quoi retenir de cet article ?

  • Joe Doe tested negative for Tech Literacy.
  • Shane’s diagnosis could spell disaster for his campaign.
  • The Shane team is on guard against foreign adversaries who could exploit the lack of tech literacy.