1. La tradition manuscrite

Ce travail s’insère dans les travaux de valorisations des sources écrites de l’histoire africaine et subsaharienne en particulier. Elle s’appuie sur une longue tradition manuscrite liée à l’expansion de l’Islam, et du commerce caravanier. L’expansion de l’Islam et le développement de l’enseignement arabe ont permis la mise en place progressive d’une tradition manuscrite et la formation des générations d’intellectuels lettrés musulmans. Ces écrits attestent la présence et surtout l’importance de l’écriture dans les sociétés africaines précoloniales.

Le département de manuscrits arabes et ajami de l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) avec l’aide des partenaires techniques s’investit pour préserver et valoriser les manuscrits
anciens à travers les travaux de recherche et la publication.
Les chercheurs du département interviennent dans une diversité de domaines (collecte, conservation, exploitation, valorisation, formation, encadrement). Certes tous les manuscrits n’ont pas la même valeur. C’est à l’instinct et à l’œil sagace du chercheur de valoriser le manuscrit et d’en retirer l’information vraie et de valeur scientifique.

Le manuscrit objet de cette étude est intitulé : « diyâ’u ’alnidjar min târîkh Zinder » qu’on peut traduire : découvrir le Niger à travers l’histoire de Zinder ou connaître le Niger à travers l’histoire de Zinder. C’est un manuscrit écrit par un érudit nigérien. Il s’appelle Tanudi Ibn ’al-Bukhari Ibn ’Al-Ajal ’Al-Timbukti ’Al-Agadazi (communement appélé Bukhari Tanudé). Il est né vers 1920 à Agadez où il fréquenta l’école coranique. Il part ensuite poursuivre dans les années 50 ses études et approfondir ses connaissances en études arabes et islamiques à la School for arabic studies (SAS) à Kano au Nigéria. Il passe donc une bonne partie de sa vie au Nigéria avant de décider de rentrer au Niger pour travailler auprès de Boubou Hama. Il approcha les cours des chefs traditionnels du Niger pour recueillir l’histoire du Niger.

2. Aperçu sur l’auteur

Il a été deux fois à la Mecque (en 1970 et en 2002). Son œuvre écrite est essentiellement consacrée à l’histoire du Niger et à la culture islamique. Il a écrit le manuscrit « diyâ’u ’al-nidjar min târîkh Zinder » entre 1967 et 1969 à la demande de Boubou Hama, président de l’Assemblée nationale. Ce dernier a joué un rôle fondamental dans la constitution des collections des manuscrits et celle de la tradition orale (archive orale) conservée à l’IRSH. Selon Boubou Hama, l’intérêt que nous portons tous à la connaissance en général et à l’histoire de l’Afrique en particulier, est le facteur décisif qui a créé entre nous et ses lettrés des relations d’amitié et de confiance.
La relation entre Boubou Hama et Boukhari Tanudé est donc une relation d’amitié et de confiance. Boubou Hama a maintes fois souligné dans ses conférences, les efforts fournis par les lettrés comme Boukhari Tanudé et cheikh Marhaba en matière de production et de collecte des manuscrits et traditions orales.

3. Présentation du manuscrit

Il s’agit du manuscrit numéro 37 du volume 1 du catalogue des manuscrits conservés au département des manuscrits arabes et ajami de l’Institut de Recherches en Sciences Humaines de l’Université Abdou Moumouni du Niger.
Son titre : « diyâ’u ’al-nidjar min târîkh Zinder » est un document historique écrit par un érudit local dans lequel on note une alternance de discours direct/indirect. Le récit montre la place des lettrés dans les pratiques de pouvoir. Il a entendu des personnes dignes de foi, narrer ou lire des évènements passés qu’il s’est efforcé de fixer par écrit. Histoire de Zinder traite de l’histoire sociale, politique et culturelle de la région de Zinder au XIXe siècle et notamment du sultanat, son organisation sociopolitique et ses relations avec les autres sultanats et la venue des Français de la mission Cazémajou chargée de reconnaître la ligne Say-Barroua jusqu’au Lac Tchad.
Par sa richesse et la qualité, ce manuscrit atteste qu’il est possible d’enrichir l’histographie africaine en puisant dans les œuvres des intellectuels africains dits non-europhones.

A Lire: Niger 1960-2000 : Quelques itinéraires féminins

Le travail d’éditions critiques et de traduction

Éditions critique
Deux copies du même manuscrit sont conservées à la bibliothèque des manuscrits de l’Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH) de l’Université Abdou Moumouni sous le numéro 37.

Traduction
La traduction est l’étape constitutive de l’établissement d’un texte. C’est l’interprétation du texte lui-même par la métamorphose, la transformation. Elle tente de rendre les nuances et les significations d’une langue dans une autre langue. Chaque langue est une vision du monde.
La traduction se fait sur fond de l’humanité commune parce que nous avons une logique commune. Nous partageons la même humanité. C’est l’aspect magnifique de la traduction.

La structuration du livre
Intronisation de Souleymane p29
Le roi, les sorciers et les marabouts p32
Le mois de Ramadan p35
Une hyène dans la ville p38
La mort du roi Souleymane p38
Amadou roi de Zinder p43
La bataille de Kano p47
L’arrivée du Capitaine Cazémajou1 à Zinder p51
La mort de Cazémajou et la prise de Zinder par l’armée française p56
Le prince, l’eunuque et le gouverneur p62

Ce livre attire également l’attention sur l’importance qu’il y aurait de mieux connaître la manière d’écrire l’histoire chez les érudits locaux. L’objectif était de rendre accessible le contenu au grand public d’une manière générale en faisant de cet ouvrage un instrument de travail de mémoire utile.
Aussi dans ce travail d’éditions et de traduction de ce manuscrit l’auteur a eu le souci de rendre
la traduction aussi transparente que possible au texte arabe, en employant un vocabulaire simple et familier en accord avec un style ordinaire et ouvert au grand public.


Pr. Seyni MOUMOUNI
Directeur de Recherche (Cames) en Civilisation et Histoire des Idées Islamiques. Ancien Directeur de l’Institut de Recherches en Sciences Humaines (I.R.S.H) de l’Université Abdou Moumouni (Niamey – Niger). Chef de département des manuscrits arabes et ajami (Mara); Membre correspondant de la Sous-commission « Education et Recherche » de l’UNESCO ; membre de l’Union Académique Internationale (U.A.I) ; expert du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (Cames), responsable du laboratoire scientifique : langue et civilisation arabo-musulmanes (LICA). Il est spécialiste des manuscrits subsahariens et auteur de plusieurs publications sur les manuscrits et l’islam. Parmi ses publications: Histoire de Sinder, les manuscrits de la vallée du fleuve Niger (Publishing house of the Slovak Academy of Sciences, 2017), le temps des oulèmas : les manuscrits africains comme source historique ; études nigériennes, Niamey, 2009, etc.


1 Cazemajou est né à Marseille en 1864, fils d’un sergent-major aux zouaves, sorti en 1886 lieutenant du génie de l’École polytechnique et devenu en 1889 l’un des plus jeunes capitaines de l’armée française, il est désigné pour diriger l’une des expéditions qui consiste à tracer une ligne droite entre Say sur le Niger et Barroua sur le lac Tchad, censée séparer les zones d’influence britannique et française.